J’ai lu le livre « Les fourmis » de Bernard Werber
en 1998 quand j’étais en deuxième secondaire. Ce roman, je l’ai adoré. Il
faudrait peut-être que je le relise un jour pour voir s’il provoque le
sentiment de déception que l’on ressent lorsqu’on revoit une vieille émission
jeunesse que l’on adorait. Parfois, ça vieillit mal. Bref, un des personnages
essaie de résoudre une énigme tout au long de l’histoire : « Comment
est-ce possible de former quatre triangles équilatéraux à l’aide de 6
allumettes de même taille sans les casser? »
J’y reviendrai.
Mon premier souvenir de l’utilisation des réseaux sociaux
était à l’Université, en 2003, quand nos professeurs nous demandaient de
participer à des « Forums ». Je me souviens qu’ils disaient que
l’avenir de la communication était là : dans le partage et la
multiplication des idées et des savoirs. Tout ça dans un débat sain.
À l’époque, un de nos professeurs nous obligeait d’intervenir,
dans le cadre d’un séminaire, à au moins deux commentaires par semaine émis par
nos collègues. Comme nous étions évalués sur la pertinence et la justesse de
nos interventions, tout cela était extrêmement artificiel. Je me souviens à
quel point il était ardu de se faire une opinion posée et juste sur les
commentaires des autres et que tout cela n’était pas naturel. La solution
commune était de toujours donner raison aux autres, peu importe ce que l’on
pensait vraiment.
Les plateformes ont évolué, remplaçant souvent les mots par
des gifs animés, des memes, des emojis ou des vidéos de gens fâchés qui
se filment dans leur voiture – Arnaud Soly est le maître incontesté du pastiche
de ce genre de vidéo. Dix-sept ans plus tard, il est tout à fait naturel pour
quiconque de s’exprimer sur les médias sociaux et d’avoir une opinion sur tout,
mais est-ce que mes professeurs avaient raison? Est-ce qu’en partageant notre
opinion ou multiplie les idées et les savoirs?
J’ai été confronté sur les réseaux sociaux durant les
derniers mois et années, à la bête réaction qu’ont beaucoup (trop) de personnes
lorsqu’on leur dit qu’elles n’ont pas raison. Même si on leur explique le plus
rationnellement du monde, elles s’enfoncent inévitablement dans leur vase et
surtout, c’est qu’elles s’y sentent confortables. C’est peut-être mon côté
pédagogue, mais je ressens toujours l’intense besoin de leur faire comprendre
pourquoi elles ont tort. Quand ça arrive, ça monopolise une grande partie de
mon temps et de mon énergie.
Voici un exemple.
Pour faire une blague, un jour sur Facebook, j’ai créé et
partagé cette image que j’avais affichée dans ma classe, pour rire :
Je l’avais d’ailleurs publiée sur mon blogue. Voilà ce qu’on
peut appeler… une blague nichée (les slomos feraient gn gn gn! Après un aussi
mauvais gag)! C’est une blague de prof de maths… pour les autres, je vous
l’explique. Sans entrer dans les détails, selon la priorité des opérations,
dans le premier cas, l’exposant « 2 » s’applique sur la parenthèse au
complet :
Ensuite, deux binômes multipliés ensemble
sont soumis à une double distributivité.
Donc ici :
L’idée ici, avec cette affiche, est de
rappeler à l’élève que l’exposant ne se distribue pas sur un binôme. De le
rappeler avec une conséquence aussi grave que la mort d’un chiot est tellement intense,
qu’on comprend immédiatement que c’est un procédé humoristique d’exagération.
Et c’est là que la volonté de vouloir
avoir raison se déploie de manière tellement malsaine. Mon premier
commentaire :
- « On ne dit pas "bébé chien". On doit dire "chiot"! »
Je ne l’avais pas vu venir celle-là. Je
me questionne, je vérifie partout. La plupart des dictionnaires utilisent la
définition « jeune chien », alors je ne comprends pas mon erreur. Puis
je vérifie avec Antidote :
Bébé chien est là…
C’est un synonyme. Il n’y a pas d’erreur.
Hm… Ça va être délicat de dire à la personne qu’elle n’a pas raison. En effet,
la personne n’a pas aimé ça. Elle s’est fâchée et s’est mise à m’envoyer toutes
sortes d’articles de sources non fiables.
Un autre commentaire :
- Je ne vois pas le problème! Le binôme (x + 5)² peut très bien être égal à x² + 25, par exemple, lorsque x = 0.
Intéressant, car l’exemple donné est
vrai :
Cependant, mon exemple n’était pas un
exemple de résolution (c’est-à-dire lorsqu’on est à la recherche d’une valeur inconnue
dans une équation), c’était plutôt un exemple de développement (où une
expression algébrique n’est pas associée à une valeur numérique). Dans ce
deuxième cas, le développement algébrique doit être vrai pour toutes les
valeurs de x (sans quoi on doit énumérer des restrictions).
Dans l’expression algébrique (x + 5)², toutes les valeurs de
« x » sont admises. Si notre intention est de trouver une expression
algébrique équivalente, elle doit l’être pour toutes les valeurs de
« x ».
J’ai tout tenté pour expliquer à cette
personne, le plus rationnellement du monde, qu’elle avait tort, mais il était
trop tard. Tout ça s’est enfoncé. La personne – que je ne connaissais pas
personnellement – s’était mise à me donner des bêtises publiquement. Elle s’est
mise à m’envoyer des messages personnels sur Messenger. Des messages à toutes
les 4 secondes. Du texte vide. Incapable d’admettre qu’elle avait tort.
Incapable d’avouer que ce qu’elle disait,
c’était de la boue. De la grosse bouette.
C’était bien avant la pandémie.
Depuis le 12 mars 2020, j’ai eu quelques
discussions comme celles-là et le point commun de toutes ces discussions, c’est
que mon interlocuteur refuse totalement de dire qu’il a tort.
J’ai passé des heures à expliquer une
blague à un illustre inconnu (une blague qui n’était pas de moi et que je
trouvais personnellement très moche, mais comme il ne la comprenait pas, je
tenais à lui expliquer). J’ai contacté l’auteur de la blague, qui m’a donné
raison. Quand je l’ai mentionné à mon interlocuteur, voici quelle était sa
réaction :
Un commentaire bien sarcastique. Il a
daigné me donner raison, mais sans me montrer une moindre once de respect.
Incapable de répondre : « Mon erreur, je n’avais pas compris la
blague! », il fallait qu’il me juge par la bande – notons qu’il a quand
même tenu tête durant 17 commentaires ; pas mal pour quelqu’un qui juge son
interlocuteur de perdre son temps! Se complaire, les deux pieds dans la gadoue
bien visqueuse et bien odorante.
Les exemples suffisent, mais il y en a plein d’autres. Je suis certain que vous avez des exemples vous aussi…
Vous connaissez sûrement des personnes
convaincues d’avoir trouvé la solution des 6 allumettes. Vous leur avez donné
l’indice « pense à l’extérieur de la boîte » et ils vous montrent des allumettes disposées n'importe comment sur la table.
- Tu vois, si tu utilises
le bord de la table, tu as 4 triangles!
- Non, le bord de la
table ne compte pas. Et non, ça ne forme pas 4 triangles, essaie autre chose.
- Ben regarde, au milieu
il y en a deux croisés en x. Ensuite, y’a le moyen au centre et les trois
ensembles forment un plus grand triangle.
- Non, ça ne fonctionne
pas. En plus ce que tu appelles le « triangle du milieu », c’est un
quadrilatère, il y a 4 côtés. Même chose pour les trois « triangles
ensembles »!
VOYONS! REGARDE! UN,
DEUX, TROIS, QUATRE TRIANGLES! (Ça me fait toujours rigoler quand quelqu’un
essaie d’avoir raison en criant sa mauvaise réponse…)
- Regarde, essaie de
penser en dehors de la boîte!
- T’es con là avec tes
énigmes. Je ne trouve pas là… C’est quoi? Dis-le-moi je n’ai pas de patience
avec ça.
- Tu dois former un
tétraèdre!
- Pfff! T'as vraiment du temps à perdre!
Correction : dans la première version de ce texte, j'avais écrit "4" allumettes. Je me suis trompé et c'est ben correct. Merci à mon collègue de m'avoir corrigé!
Correction : dans la première version de ce texte, j'avais écrit "4" allumettes. Je me suis trompé et c'est ben correct. Merci à mon collègue de m'avoir corrigé!