« En ce qui concerne l’évaluation, c’est simple : tout compte! »
C’est la phrase que je dis maintenant depuis deux ans aux élèves qui ont choisi mon cours optionnel d’informatique et/ou mon cours optionnel de multimédia. Mais quand je dis « tout compte », ce n’est pas une figure de style pour dire qu’il y aura beaucoup d’évaluations. Non. Si on fait une activité en classe et que je demande aux élèves de noter des observations, ça compte. Si on fait un exercice pratique en informatique avec Word, ça compte. Si en multimédia on élabore un projet de publicité, du remue-méninges jusqu’à la présentation finale du projet, ça compet! Si on teste comment faire des tableaux croisés dynamiques dans Excel, je collige les travaux, je les corrige et oui, ça compte!
C’est la solution que j’ai trouvée pour éviter qu’un élève ne fasse rien en classe et je dois avouer que ça fonctionne très bien. Trop bien même… Je trouve tellement dommage de devoir faire cela, puisque ça ne reflète pas ma vision de l’apprentissage. Les élèves devraient comprendre que les exercices sont des paliers nécessaires à gravir pour l’obtention et pour l’application d’une connaissance. L’élève devrait comprendre qu’il s’exerce pour son apprentissage et non qu’il récolte des points certificatifs comme dans un jeu vidéo pour se rendre au niveau suivant.
Le principal problème avec ma méthode, c’est que je m’épuise au travail. Pour chaque sprint de fin d’année, en juin, je fais toujours la liste des éléments qui me restent à corriger. Ça me semble motivant… sans négliger que cocher, c’est rassurant! Chaque case correspond à une « pile » de correction et chaque fois que je fais un « X » sur une case, j’ai l’impression d’être un peu plus près des vacances!
En juin 2018, mon tableau ressemblait à ça :
En mathématique, j’avais un nombre respectable d’évaluations. Trois examens par groupe pour évaluer deux compétences, c’est normal. C’est la vérification des travaux en multimédia et en informatique qui est incroyablement longue. En mathématique, on dirait que ça va de soi : les élèves savent qu’ils doivent s’exercer pour mieux comprendre.
La question s’impose : pourquoi ne travaillent-ils pas dans les cours optionnels si le travail ne compte pas?
Pistes de questionnement :
· Est-ce une négligence? De la paresse?
Peut-être que l’élève ne veut tout simplement pas faire l’activité. C’est arrivé fréquemment dans mes classes de cours optionnels : les élèves sont présents en classe puisqu’ils doivent atteindre un certain pourcentage de présence pour pouvoir aller à leur bal des finissants. Ils se tiennent à ce moment-là sur la mince frontière du travail strict minimal et finissent par échouer le cours (parfois en refusant même de faire les évaluations). Mais comme ces élèves ont une somme adéquate de crédits afin d’obtenir leur diplôme d’études secondaires,
· Est-ce que c’est la difficulté de l’activité qui est en cause?
Aux extrêmes : l’activité est peut-être trop facile pour l’élève alors il n’y voit pas d’importance ou tout au contraire, l’activité est peut-être trop difficile pour l’élève alors il perd confiance en lui et ne voit pas comment il pourrait s’épanouir en vivant l’échec.)
· Est-ce que le cours ne les intéresse pas?
Si c’est le cas, je suis sans mot… puisqu’il s’agit d’un cours complémentaire optionnel. C’est eux qui ont fait ce choix. Très rarement on place dans ma classe un élève qui obtient son 4e ou 5e choix de préférence.
En faisant appel à des collègues de partout au Québec via un groupe Facebook recensant plus de 26 000 enseignants, j’ai fait plusieurs constats :
- Constat 1 : Très souvent, entre collègues, on comprend mal la réalité pédagogique des autres. Enseigner au primaire n’est pas équivalent qu’enseigner au secondaire. Enseigner dans une grande ville n’est pas équivalent qu’enseigner en région. Enseigner les mathématiques n’est pas la même chose qu’enseigner les arts.
- Constat 2 : On est parfois tellement ancré dans notre routine d’enseignement qu’on est convaincu que de faire le contraire n’est pas… permis. Par exemple, lorsque j’ai posé la question sur le groupe Facebook, on m’a reproché d’évaluer des devoirs faits à la maison… que cette démarche n’était pas pédagogique et qu’il n’était pas réglementaire d’évaluer des devoirs dans un établissement scolaire au Québec. En discutant avec ces personnes, on s’est rendu compte qu’on ne parlait pas de la même chose. Un devoir de mathématique représentant des exerciseurs précis sur la différence de carrés n’est pas la même chose qu’un devoir dans un cours de multimédia représentant le tournage de scènes afin de réaliser un projet de générique d’ouverture. Et oui… il peut être évalué éventuellement. Je n’ai rien trouvé dans la loi sur l’instruction publique disant le contraire. En fait, on dit même : « L’enseignant a notamment le droit […] de choisir les instruments d’évaluation des élèves qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont confiés en se basant sur les progrès réalisés. ». Rappelons-nous au début de la réforme, ces situations d’apprentissage et d’évaluation qu’on nous présentait et qui s’échelonnaient sur une période de quatre semaines!
- Constat 3 : Des enseignants vivant la même situation problématique sont souvent très empathiques, mais très gênés à la fois. Malgré tout ce qu’on peut lire sur notre métier, la grande majorité d’entre nous est très fière d’être enseignant(e)s. D’avouer qu’on échoue, c’est un peu moins glorieux sur notre fierté, mais ça nous permet drôlement d’évoluer en coopération. C’est un peu ça qu’on demande à nos élèves aussi…
J’ai aussi regroupé des solutions suggérées en quelques catégories différentes :
- Solution 1 : Parler aux élèves de l’importance des activités formatives
Au début, j’ai trouvé ça franchement insultant comme piste de solution. À mon sens, ça sonnait prétentieux, parce que ça présupposait que je n’avais jamais d’abord fait cette démarche avant de prendre la décision d’évaluer l’ensemble des travaux. Non, je l’ai essayé. Si les travaux ne comptent pas, ils ne sont pas remis.
- Solution 2 : La vérification aléatoire avec conséquence
Cette solution m’a été proposée pour les « devoirs plus traditionnels » et non pas aux activités en classe ou aux projets s’étalant sur plusieurs cours. Cette démarche consiste, de plusieurs façons possibles, de procéder à la vérification d’un échantillon de devoirs dans la classe. On choisit cinq élèves au hasard dans le groupe en pigeant des noms dans un chapeau ; on choisit une rangée de la classe au hasard ; on vérifie le devoir des élèves qui portent un chandail de telle couleur de la gamme ; bref, toutes les méthodes sont bonnes pour choisir un échantillon d’élèves. L’élève ne sachant pas si son devoir sera sélectionné se sent donc suivi de près. Les élèves n’ayant pas fait leur devoir ont une conséquence (reprise de temps (retenue), récupération obligatoire, copie, travail redonné en double, etc.).
- Solution 3 : L’évaluation aléatoire
Cette démarche ressemble à la précédente, mais peut s’appliquer aux activités faites en classe. Elle consiste à récolter toutes les activités réalisées par les élèves, mais à ne corriger qu’une partie de celle-ci. Cette technique me semble pratique afin de diminuer la surcharge de correction, mais donne tout de même à l’élève une « chance » lorsqu’il ne fait pas ses travaux. Il peut quand même prendre la chance de faire un travail sur deux et quand même bien réussir…
- Solution 3b : L’évaluation aléatoire pondérée
Cette solution est identique à la précédente, mais consiste à pondérer le résultat obtenu à l’évaluation aléatoire selon le nombre d’exercices qui a été remis.
- Solution 4 : Le préalable
En mathématique, c’est ma solution préférée. Sans compter, les travaux doivent être totalement exécutés pour que l’élève puisse faire son examen. Dans mon cas, lorsque les travaux ne sont pas terminés, c’est que je juge que l’élève n’est pas prêt à faire l’examen. Cependant, cela vient avec un lot de responsabilités. Quand l’élève n’a pas terminé ses travaux à temps, il a l’obligation de les terminer avant que je lui donne une reprise et comme il a plus de temps que les autres pour se préparer à l’examen, une pénalité s’impose sur son évaluation.
Alors voilà qu’après toute cette réflexion datant de la fin août j’ai dû prendre une décision afin de bien amorcer mon année scolaire… Et malgré tout le temps passé à me casser la tête sur la solution que j’allais prendre, j’y suis allé avec le statu quo. « Quoi? Il nous a fait lire tous ces mots pour finalement nous dire qu’il n’a pas changé sa méthode? »
Exactement.
Je me suis dit que ma réflexion pouvait tout de même aider mes collègues à prendre une décision lorsqu’ils feront face à la même situation problématique… J’ai pris la décision de tout faire compter quand un élève m’a demandé : « Monsieur, est-ce que ça compte? ». Je lui ai alors demandé pourquoi il me posait la question.
Sa réponse : « Pour savoir si on doit se forcer. »
Pour ne pas m’épuiser au travail, j’ai décidé de faire une correction d’observation et de pondérer les résultats à plus faible échelle que les années passées.
Alors maintenant… Comment fait-on pour transmettre le goût d’apprendre? Comment fait-on pour défaire cette envie de connaître le strict minimum pour devenir carriériste? Comment faire comprendre que l’apprentissage ne devrait pas être une accumulation de points pour se rendre au niveau suivant comme dans un jeu vidéo? Comment fait-on pour déconstruire ces concepts de l’éducation certificative?