Il a été question de pailles en plastique dans l’actualité cette année au Québec (et probablement partout ailleurs dans le monde). Plusieurs articles recensaient le nombre de pailles qui étaient jetées par année dans le monde. Mon but ici n’est pas de faire le procès des pailles de plastique, mais plutôt de comprendre la représentation des nombres utilisés par les journalistes. Selon cet article de La Presse, les Américains à eux seuls utilisent plus d’une paille par personne par jour :
« On estime que les Américains utilisent plus qu’une paille par personne par jour, explique M. Ménard. Soit 175 milliards de pailles par an. Si on les mettait bout à bout, on ferait deux fois et demie le tour de la Terre. »
Chronique de Marie-Claude Lortie, « Les pailles, le plastique et notre été », 17 juillet 2018.
Puis ceci :
« Le mouvement est encore assez faible ici. Greenpeace évalue que les Canadiens utilisent 57 millions de tubes jetables par jour. Certaines estimations montent au milliard jeté quotidiennement dans le vaste monde. Chose certaine, si on mettait bout à bout toutes les pailles utilisées en une seule année ici-bas, on pourrait faire l’aller-retour Terre-Lune plusieurs fois. »
Chronique de Stéphane Baillargeon, « La paille de plastique jetable, championne mondiale de la pollution », 2 juin 2018
Quand les nombres deviennent trop grands, il n’est pas rare de voir les journalistes les comparer à des distances astronomiques afin de les rendre moins abstraits pour les lecteurs. Ce qui est curieux, c’est que très peu de gens ont fait le tour de la Terre et encore moins un voyage entre la Terre et la Lune!
Aussi, personne ne prendra le temps de vérifier ces nombres. Prenons les chiffres de Mme Lortie : Si on mettait bout à bout 175 milliards de pailles, on ferait deux fois et demie le tour de la Terre. Faisons le test.
· Circonférence de la Terre : 40 075 km
· Deux fois et demie le tour de la terre : 100 187,5 km (ou 100,2 millions de mètres, ou 10,02 milliards de centimètres)
· Divisé par 175 milliards : 0,06 cm.
· Pour arriver à ce calcul, on parle donc de pailles de moins de 1 mm de long.
Les données ne sont pas bonnes. Non seulement la comparaison astronomique reste très abstraite, mais ils sont faux de surcroît.
Prenons maintenant les chiffres de M. Baillargeon : Si on mettait bout à bout toutes les pailles utilisées en une seule année ici-bas, on pourrait faire l’aller-retour Terre-Lune plusieurs fois.
· Aller-retour Terre-Lune : 768 800 km
· Grandeur moyenne d’une paille : Disons 25 cm.
· Nombre de pailles annuellement utilisées au Canada : 57 000 000 x 365 = 20 805 000 000 pailles
· Distance des pailles en centimètres : 520 125 000 000 cm
· Distance des pailles en mètres : 5 201 250 000 m
· Distance des pailles en kilomètres : 5,2 millions de km.
· Nombre d’aller-retour Terre-Lune : 6,77 allers-retours.
Ici les valeurs concordent. On doit effectivement faire plusieurs allers-retours Terre-Lune si on mettait bout à bout toutes les pailles.
Parallèlement à ces lectures de pailles, je lisais « Liliane est au lycée » de Normand Baillargeon. Ce livre se lit très rapidement et fait l’apologie de la culture générale. Il dénonce un certain manque de culture des sciences, notamment en mathématique. Il nous invite à faire une expérience avec nos proches avec une feuille de papier :
« Vous leur faites remarquer qu’on peut convenir qu’elle a un dixième de millimètre d’épaisseur. Vous la pliez en deux par son milieu et vous expliquez que vous avez désormais entre les mains un petit cahier constitué de deux feuilles de deux feuilles et quatre pages, lequel a donc deux dixièmes de millimètres d’épaisseur.
Vous faites ensuite un nouveau pli et soulignez que votre petit cahier a désormais quatre dixièmes de millimètres d’épaisseur. »
Il nous propose ensuite de déplier la feuille et demander aux gens de notre entourage d’imaginer qu’il était possible de plier la feuille en deux 50 fois et d’imaginer quelle serait l’épaisseur du petit cahier formé.
La réponse, c’est 112 millions de kilomètres. Il explique ensuite les possibles erreurs de raisonnement faites par les gens de notre entourage qui répondront à notre question. Il ajoute : « Je soupçonne que de nombreuses personnes échoueraient à ce petit test : elles souffrent d’un mal que j’appelle l’innumérisme, qui est une sorte d’équivalent pour les nombres, et plus généralement pour les mathématiques, du bien connu et déplorable illettrisme. L’innumérisme a cependant ceci de particulier qu’il n’apparaît pas honteux à ceux et celle qui en souffrent. Mieux : on s’en vanterait presque. Pour un peu, « Moi, les mathématiques, je n’y ai jamais rien compris », serait avancé avec un brin de fierté, voire porté comme un titre de gloire. »
L’innumérisme… c’est l’éducation qui doit s’en charger. Maintenant, avec quels outils? Peut-être pas avec la distance entre la Terre et la Lune…
Ben, le problème des pailles dans l’œil des journalistes!
RépondreEffacerBeau problème en effet!