Vous aviez neuf ans et c’était l’été. Votre mère préparait des épis de maïs et juste avant de souper, vous alliez vous baigner dans votre piscine hors terre circulaire avec les amis du quartier. Pendant ce temps votre père vous surveillait en tondant le gazon. Ça sentait le chlore et l’herbe fraîchement coupée. Après une sempiternelle partie de « Marco Polo », vous vous mettiez à tourner dans la piscine... De plus en plus vite, sans trop vous poser de question. Puis vous arrêtiez de nager en vous laissant flotter, tout en suivant le courant que vous veniez de créer.
Votre père avait rangé sa tondeuse et suivre le courant, c’était reposant. Surtout après avoir hurlé frénétiquement « Marco » et « Polo » afin d’enterrer le bruit de la tondeuse de votre père pendant des heures. C’était tellement reposant, que votre mère, inquiète de ne plus vous entendre vous égosiller, sortait sur la galerie afin de vérifier qu’aucune noyade n’avait été répertoriée.
Il y avait toujours le petit voisin désagréable qui nageait dans le sens contraire pour défaire le courant. Le marginal de l’afflux. Le flot contre les flots. Le Che Guevara de la baignade. Jonathan.
Il allait chercher son plaisir dans la colère des autres. Son enchantement était inversement proportionnel à celui des autres. Il tirait plaisir de nous voir rager.
Je me sens comme ça dernièrement dans mes cours. Et c’est comme ça chaque année au mois d’avril. Je généralise probablement, mais il y a clairement une corrélation... On s’est époumoné toute l’année et on arrive bientôt au mois de mai. On a fait des devoirs, des préalables, on a accumulé des résultats. On a fait du courant. On pourrait le suivre, doucement, en attendant de se régaler d’épis de maïs… Mais il y a toujours un Jonathan qui joue au casse-cul : il ne fait pas ses devoirs, il apporte son cellulaire en classe, il ne travaille pas, il parle fort, il dérange les autres, il rit pour rien, il ne rit pas quand c’est drôle. Et tout, ça il le fait par exprès.
Il nage dans le sens contraire du courant en tirant plaisir de me voir rager.
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