dimanche 18 décembre 2016

Des vidéos de p’tits chats (ou l’ineptie volontaire)

« Monsieur? On peut-tu r’garder des vidéos de p’tits chats à’ place? »

Je pense que c’est cette phrase qui m’a le plus bouleversé.

Ça m’a mis à l’envers.

Attendez… Je vous explique le contexte. Dû à un conflit d’horaire, je me suis retrouvé à donner mon cours d’informatique à l’extérieur de mon local habituel. Ça me faisait plaisir d’aider une collègue qui avait besoin du laboratoire informatique et j’ai décidé de présenter un film à mes élèves, chose que je fais très rarement… et comme nous approchons de Noël, j’étais persuadé que ça leur ferait plaisir...

Ça fait donc près d’un mois que je fouille pour des films en lien avec l’informatique. Je me suis arrêté sur « Steve Jobs » et « Le réseau social » (Mark Zuckerberg). Ces deux films m’intéressaient, mais je ne les avais pas encore vus. Je les ai commandés à mes frais et je les ai visionnés avant de les montrer aux élèves. Les deux films m’ont un peu déçu à cause de la personnalité horripilante des deux personnages. Je me disais cependant que les comportements nauséabonds des deux hommes d’affaires auraient apporté de bonnes discussions après le visionnement du film et surtout auraient permis de poser la question, un peu plus philosophique : « Est-il nécessaire d’être détestable pour être un bon entrepreneur? ». J’ai donc apporté les deux films en classe et on a passé au vote.

- Qui veut regarder le film « Le réseau social »?

Silence radio; boule de foin traversant la savane; chant du criquet. J’aperçois au loin une main se lever dans un grand champ d’indifférence, mais je suis un peu content puisque je préférais l’autre film. J’en conclus naïvement que c’est le film de Steve Jobs qui gagne… Je me prépare à le mettre dans le DVD et un élève regarde son ami, les bras dans les airs, outré comme une mégère et critiquant ma façon de passer au vote : « Ah c’est ça! Le film de Facebook a un vote, l’autre n’a pas de vote, alors c’est Facebook qui gagne! C’est ça? C’est ça? »

- Bon… pour faire plaisir au Colonel Rabat-Joie, on va passer au vote. Qui veut regarder le film sur « Steve Jobs »?

Trois mains se lèvent timidement.

- Monsieur, on pourrait juste aller sur Youtube aussi…

- …

- Monsieur, on peut-tu écouter de la musique?

- …

- Monsieur, on va juste parler… ça va être chill.

- …

- Ouain, monsieur? On peut-tu?

- Wow là… NON!

Mon option était binaire. Ou bien on regarde le film A, ou bien on regarde le film B. Rien d’autre. C’est comme si je vous invitais à souper et que je vous proposais deux plats. Ce n’est pas si mal, il me semble… Et que vos invités, à la vue du repas que vous leur serviez, vous proposaient, dégoûtés, de commander de la pizza! Vos intentions étaient bonnes, vous saviez que votre repas n’était pas digne de Bocuse, mais il valait plus que toutes les fritures qu’on vous sert au Buffet des continents.

- Monsieur? On peut-tu r’garder des vidéos de p’tits chats à’ place?

Je pense que c’est cette phrase qui m’a le plus bouleversé. Ça m’a mis à l’envers. Celle-là faisait encore plus mal. Comme si mes invités m’avaient proposé de manger des vidanges plutôt que ce que j’avais mis du temps à leur préparer.

Obnubilés par eux-mêmes, ils confondent leur personne et les autres…

Je me sens toujours aussi impuissant face à cette ineptie volontaire… Face à l’absence de savoir-vivre et face à l’absence de savoir le savoir-vivre. La réflexion m’a poussé à comprendre que cette question banale n’avait pas été fielleuse, mais à ce point dépourvu de raisonnement qu’elle s’apparentait à un cri primal. Avec cette question bête, j’ai compris que les plus narcissiques sont incapables d’évaluer la portée de leurs propres gestes sur les autres.

Ils sont si aveuglés par leur petit confort éphémère qu’ils vont jusqu’à se délaisser eux-mêmes.

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