samedi 16 avril 2016

Freiner l’intimidation, c’est impossible

Par définition, intimider, c’est « inspirer à quelqu’un une crainte, un trouble qui lui font perdre son assurance ». C’est aussi « Remplir quelqu’un de peur en usant de la force, de menace ». (Source : Larousse)

Est-ce que vous vous rappelez de votre première présentation orale, en première année du primaire? Vous teniez très fort votre jouet favori entre vos mains, votre bouche devenait pâteuse, votre respiration s’accélérait, puis vous vous lancier en répétant ce que votre mère vous avait fait répéter sans cesse, la veille : « Je vous présente Poumpi. C’est mon toutou préféré. Poumpi est un joli koala que mon père m’a donné lorsque j’avais 3 ans. » Puis en répétant machinalement ces phrases, en une fraction de seconde votre regard s’est posé sur celui de vos confrères de classe et vous avez compris qu’ils étaient en train de poser un jugement sur vous… Et surtout, vous avez compris que vous ne pourrez jamais savoir la nature de ce jugement. Il pouvait être positif, négatif, gentil, méchant, il pouvait provoquer de la joie, de la peine, de l’envie, de la jalousie, etc. Et même si vos confrères de classe avaient dégagé la plus aimable des empathies, vous vous sentiez intimidés.

Votre assurance se dégonflait à vue d’œil malgré le fait que votre mère avait bien pris le temps de la gonfler à bloc la veille à grands coups de « Tu es le meilleur! Tout le monde va aimer Poumpi! Avec ton joli nœud papillon, tu vas faire chavirer le cœur des p’tites filles! ». Mais plus votre présentation avançait, et plus vous trouviez qu’Éric avait fait une meilleure présentation que la vôtre en présentant sa voiture téléguidée, plus vous trouviez que « Poumpi » était un nom ridicule pour un koala et plus vous trouviez que votre nœud papillon était disgracieux… et vert fluo.

Malgré tout, après votre présentation, votre enseignante vous a félicité et a souligné les efforts que vous aviez faits pour apprendre votre présentation par cœur. Pendant la récréation, Éric vous a demandé de vous prêter Poumpi pour le mettre sur sa voiture téléguidée et Marilyne vous a demandé si elle pouvait mettre votre nœud papillon dans ses cheveux (d’ailleurs, le vert fluo lui allait beaucoup mieux)! Vous aviez appris par vous-même à surmonter le sentiment d’être intimidé et je dirais que ça a fait de vous quelqu’un de plus fort.

À titre d’enseignant, je suis souvent témoin de cas mineurs d’intimidation. Exemple banal et assez générique : Durant un examen, un élève a volé la gomme à effacer de son voisin. Le voisin en question a laissé entendre un « Hey! » timide dans la classe silencieuse, ce à quoi le nigaud de brigand a répondu « arrête de brailler là! ».

Je sais que cette palpitante anecdote aurait pu faire une intrigue d’au moins une semaine dans Virginie, mais dans la réalité, l’événement est passé complètement inaperçu : trois élèves curieux se sont retournés, une élève dans le fond de la classe a lâché un long soupir, l’ami dadais du voleur a ricané comme un phacochère et la gomme à effacer a été mollement larguée sur le pupitre de son propriétaire faisant ouïr un léger « poc »…

Le voisin volé s’est probablement tu pour ne pas faire de vagues, mais je peux imaginer qu’il a réprimé un mouvement de colère : après tout, il venait d’être déconcentré pendant une évaluation de mathématique. Par crainte de conséquences (j’aurais pu lui demander de se taire, les autres élèves auraient pu à leur tour être déconcentrés, le voleur malpoli aurait pu continuer de le traiter de braillard, etc.). Se sentait-il intimidé pour une simple histoire de gomme à effacer? Probablement. Est-ce que l’entourage immédiat de la personne intimidée peut faire quelque chose pour contrer un tel genre d’événement? Je ne crois pas. La seule personne qui peut remédier à la situation, c’est la personne intimidée elle-même : en favorisant la discussion, elle peut faire comprendre ses sentiments aux autres… et elle doit le faire au bon moment, sans impulsivité.

Je sais qu’il existe des cas d’intimidation beaucoup plus sérieux que l’intimidation ressentie lors d’une présentation orale au primaire ou lorsqu’on se fait « sauvagement emprunter » une gomme à effacer pendant un examen. Je sais aussi que ces cas sont amplifiés sur les réseaux sociaux et même en dehors des heures de classe. C’est Sartre qui dit dans Huis clos : « L’enfer, c’est les autres. »
Je suis assez pessimiste en ce qui concerne les véritables intentions de la lutte à l’intimidation dans les écoles. Ne devrait-on pas lutter contre l’intimidation, point? Si l’intimidation entre adolescents est plus manifeste, l’intimidation entre adultes, elle, est beaucoup plus sournoise. L’intimidation des adultes, c’est celle de la comparaison des salaires, des grosseurs de maisons, des choix sociaux ou politiques. C’est celle de l’âgisme et de la difficulté à accepter les différences. C’est celle qui débute par un jugement agressif et par fermeture d’esprit se conclut par : « En tout cas, les goûts, ça ne se discute pas ».

Je trouve alors bien hypocrite de laisser croire aux adolescents que pendant toute leur vie, ils pourront dénoncer l’intimidation. Ils le pourront peut-être à l’école, car des dizaines de programmes et de comités seront mis à leur disposition, mais après… que pourront-ils faire? Ne pensez pas que je banalise la dénonciation, elle est essentielle évidemment, mais je me préoccupe de l’héritage que laissera une école aseptisée de l’intimidation.

Parce qu’un enseignant n’est pas un représentant de l’ordre public, je ne crois pas que ce soit son rôle d’enrayer définitivement l’intimidation. Je ne crois pas qu’il en a la capacité non plus. Par contre, il peut donner certains outils de défense contre l’intimidation : par exemple l’humour, le contrôle de l’impulsivité, la communication, la gestion des émotions, le développement du leadership positif, etc.

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