Il m’arrive souvent de finir mes cours en trouvant que certains de mes élèves manquent de culture générale, de civisme et de savoir-vivre. Leur fermeture d’esprit me désole souvent… et je m’adonne souvent à réfléchir à des solutions pour pallier à cette navrante situation.
Qu’arriverait-il si on prenait de temps à autre une dizaine de minutes des cours des élèves du primaire et du secondaire pour leur enseigner un tout petit élément culturel? Parviendrait-on à sortir des œillères du (maudit) programme de formation pour s’attarder, par exemple, aux paroles d’une chanson de Jacques Brel après l’avoir écoutée, à une œuvre de Goya, aux saisons de Vivaldi, au théâtre absurde d’Ionesco, à une séquence d’un film de Kubrick ; pour s’intéresser pendant un court moment à la vie de la Bolduc, de Mata Hari ou de Simone de Beauvoir, etc.?
Bien que je souhaite vous répondre qu’un tel exercice serait possible, mon pessimisme l’emporte. J’observe dans mes classes qu’il existe entre les élèves une forme d’intimidation intellectuelle ; celle qui fait en sorte qu’il n’est pas bien vu d’avoir des connaissances nombreuses et variées. De l’élitisme inversé : on magnifie le balourd au détriment du surdoué.
Je ne crois pas que ce phénomène est nouveau. Quand j’étais au secondaire, un jour mon enseignante de mathématique remettait les examens corrigés au groupe en prenant soin de garder ma copie pour la fin. Une question boni faisait toujours partie de ses examens : c’était une question plus difficile qui permettait à certains élèves de gagner quelques points supplémentaires, mais surtout qui amenait les élèves à se dépasser. J’étais le seul de mon groupe qui avait réussi la question et mon enseignante en avait profité pour me féliciter devant tous les autres élèves. J’en étais flatté. Elle m’avait demandé si je voulais venir l’expliquer au tableau devant le groupe ; chose que j’ai faite sans trop de difficulté.
Quand je suis retourné m’asseoir à ma place, un gros abruti me pointait du doigt en riant. Il regardait son nigaud d’ami en chuchotant quelque chose un peu pour chercher son approbation. À cette époque, ce genre d’événement ne me dérangeait pas du tout : ils ne m’impressionnaient pas et je n’avais pas envie de les impressionner.
Depuis que j’enseigne, je constate à quel point ces individus ont un fort pouvoir persuasif sur un groupe. Si l’abruti et le nigaud n’ont pas eu d’impact sur l’élève que j’étais, ils en ont assurément sur les élèves à qui j’enseigne. Comme une loi de la jungle intellectuelle : si vous êtes bête, vous gagnerez contre l’intellectuel en faisant croire aux autres que l’intellectuel est plus bête que vous et que les autres… Ce faisant, ils seront flattés de se trouver au-dessus de la mêlée. Lafontaine disait, dans le corbeau et le renard : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ».
Il est alors difficile de s’imaginer certains élèves développer une véritable curiosité par rapport à des sujets culturels variés sans être confrontés à la fermeture d’esprit des autres. L’enseignant(e) n’aurait d’autre choix que de faire fi de ceux qui s’en fichent et de leur attitude polarisante.
La primauté que nous accordons à la réussite scolaire représente à mon sens un autre obstacle à l’exercice de développer la culture générale des élèves au primaire et au secondaire. En plaçant la réussite sur un piédestal, on sacrifie souvent l’apprentissage en accordant à l’évaluation une plus grande importance qu’à ce dernier. Nombreux sont les élèves, les parents et les enseignants qui vous parleront de l’angoisse que causent les examens ministériels pour les matières à diplomation à la fin du primaire et du secondaire. La réussite de ces évaluations est si urgente qu’elle éclipse même les notions qu’elle évalue.
En d’autres mots, je suis tristement persuadé que ce qui motive la majorité des élèves à venir à l’école est la réussite – souvent celle qui mène éventuellement à une rémunération salariale – et non à la valeur des apprentissages qu’ils font. Cette motivation est souvent nourrie lorsque leurs parents leur réclament de bons résultats au-dessus du seuil de réussite – et souvent au-dessus de la moyenne. Le parent d’un élève en difficulté pourrait alors sciemment blâmer le temps perdu à l’ajout de connaissances non évaluées dans un cours que son enfant échoue.
Bref, je crois que si on prenait de temps à autre une dizaine de minutes des cours des élèves du primaire et du secondaire pour leur enseigner un tout petit élément culturel, on devrait se battre contre l’ineptie et contre les représailles des parents, et ce, malgré toutes les vertus de la culture générale. Certains enseignants pourraient le faire quand même, mais lutteraient contre l’intimidation intellectuelle dans leur classe et contre le nivellement vers le bas que cause la sacralisation de la réussite.
Ne voulant pas être contrarié, j’obtempère moi-même à la loi du statu quo. Et les ânes continueront d’être rois.
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