samedi 9 avril 2016

Si on discutait révérencieusement de désobéissance civile…

Les dernières négociations dans le secteur public m'ont permis de mieux comprendre certains rouages d'une négociation : autant en ce qui a trait aux obstacles (nécessaires) qui ralentissent le processus de négociation (moyens de pression, rencontre des membres, points de presse, etc.) qu’à la fragilité de l'opinion publique.

Dans le secteur de l’éducation, les dernières négociations se sont déroulées concomitamment avec la mobilisation citoyenne : « Je protège mon école publique » (http://jpmep.com/). Plusieurs citoyens (notamment beaucoup de parents) ont fait des chaînes humaines autour des écoles primaires et secondaires de leur secteur afin de dénoncer les coupes dans le domaine de l’éducation. Une grande partie de la population se rangeait donc derrière les enseignants : chose plutôt rare quand on observe les quelques dernières négociations dans ce domaine.

Les négociations maintenant terminées dans le secteur public, je me demande pourquoi, pendant que se déroulent les moyens de pression et les journées de grève, nous ne discutons jamais de désobéissance civile. Quand une impasse se présente pendant la négociation, peu importe la fonction, les syndicats ont le devoir d’augmenter les moyens de pression de manière graduelle. Cependant, après avoir fait la grève du zèle, après avoir fait des journées de grève, bref après avoir fait tous les moyens de pression légaux, si le gouvernement décrète une loi spéciale, la désobéissance civile ne s’agit-elle pas d’un moyen de pression ultime? Si oui, pourquoi n’en parle-t-on pas révérencieusement avant d’être devant le fait accompli, étant donné que nous sommes, je crois, très peu renseignés sur le sujet. Notre méconnaissance du sujet nous pousse trop souvent à basculer vers la peur dès que les mots « grève » et « illégale » sont prononcés dans la même phrase. Quels sont les impacts de la désobéissance civile? Y a-t-il des exemples de désobéissance civile qui ont mené à des victoires ou des gains?

Malheureusement, on associe à tort la désobéissance civile à des casseurs et à la violence, mais si on s’attarde à sa définition et à ses grands défenseurs (Henry David Thoreau, Léon Tolstoï, Mohandas Karamchand Gandhi, Martin Luther King), il est important de comprendre que la désobéissance civile se doit d’être pacifique, publique et conséquente.

« La désobéissance civile désigne une violation publique, pacifique et conséquente, d’une loi, d’un ordre de Cour, d’une règle institutionnelle ou d’un ordre provenant d’une personne en autorité, violation qui heurte les convictions profondes d’ordre religieux, éthique ou politique d’un citoyen, qui veut respecter la priorité de sa conscience et éventuellement contribuer à changer la loi, la règle ou l’ordre social. » Source : DURAND, GUY. La désobéissance civile et nous. Fides. 2013.
Il existe des exemples de désobéissance civile au Québec et au Canada. À titre d’exemple, le docteur Henry Morgentaler pratiquait ouvertement des avortements illégaux dans les années 70. Ses convictions pro-choix et sa volonté de faire changer la législation de l’époque primaient sur la loi. Jusqu’à ce que la loi soit déclarée inconstitutionnelle en 1988, Morgentaler a subi plusieurs procès pour lesquels il fut acquitté.

En 1972, la grève du front commun a mené à l’arrestation des trois principaux chefs syndicaux. Le premier ministre Robert Bourassa suspend le droit de grève de 210 000 travailleurs, ce que les dirigeants syndicaux ont refusé en incitants leurs membres à ne pas respecter l’injonction. Le 8 mai 1972, les chefs syndicaux ont été condamnés à 12 mois de prison et ont été libérés 17 jours plus tard afin de terminer les négociations. Conséquents, Louis Laberge, Marcel Pepin et Yvon Charbonneau ont fini de purger leur peine, après une entente de principe qui procurera toutefois des gains importants aux syndiqués.

http://www.lignedutemps.org/#evenement/31/1972_front_commun_intersyndical

Kohlberg (1927-1987) divise l’acquisition du développement moral de l’enfant en six stades. Le premier stade est celui de la punition : l’enfant évite les punitions. Le deuxième stade est celui de la punition, mais inclut la notion de récompense : non seulement l’enfant évite les punitions, mais il comprend que ses bonnes actions peuvent être récompensées. Le troisième stade, qui s’acquiert chez le jeune adolescent est celui des relations interpersonnelles : l’adolescent est conscient que ses gestes sont jugés par les autres ; il se demande ce que les autres vont penser de lui. Le quatrième stade est celui du maintien de l’ordre social : la loi, c’est la loi, et ce, peu importe ses convictions sociales. Le cinquième stade est celui du contrat social : l’individu se sent engagé par rapport à ses semblables. Le dernier stade, le sixième, est celui des principes éthiques universels : l’individu établit son propre jugement moral qu’il appuie sur des valeurs éthiques universelles (égalité des droits, courage, honnêteté, respect du consentement, nono-violence, etc.). Il est en mesure de juger bon un geste illégal ou au contraire de juger mauvais un geste légal. Selon Kohlberg, seulement 13% des adultes atteindraient ce stade.

Le lien est étroit avec la désobéissance civile, mais le dernier stade de Kohlberg me rappelle l’expérience de Milgram : https://www.youtube.com/watch?v=FvkvRMXtrAo

Je me doute bien fortement que les discussions autour de la désobéissance civile continueront de provoquer des sentiments de peur et des discussions fermées… Dans son livre « La désobéissance civile et nous, Guy Durand décrit probablement pourquoi : « Il y a une propension de toute société à l’inertie, et à la loi et l’ordre. Il y a une tendance de tout citoyen à la soumission et à la pensée unique. Tendance accentuée par l’affirmation millénaire des prêtes, rois, seigneurs féodaux, patrons et compagnies industrielles et parents que l’obéissance est une vertu et la désobéissance un vice. » Source : DURAND, GUY. La désobéissance civile et nous. Fides. 2013.

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