« Votre enfant tourbillonne sur sa chaise pendant que je parle. »
Secondaire 5.
Le genre de phrase que j’appose au dossier d'élèves, visible
par les parents, chaque semaine depuis le début l'année. En fait, depuis le
début de ma carrière. Je suis un peu rancunier et je m’amuse à imaginer la
discussion remplie de sottise que cet élève doit avoir avec ses parents suite à
la lecture de ces phrases.
Il faut dire que j'enseigne aux meilleurs élèves et aux
élèves qui ont choisi mon cours optionnel. Je suis méga choyé comme enseignant
et j’en suis vraiment reconnaissant. Un (tout autre) élève m’a demandé la
semaine passée : « Est-ce qu’on peut considérer que la variation du
sommet d’une parabole est constante? ». Un autre se questionne sur
les ensembles de nombres : « Je comprends qu’on utilise la lettre R
pour parler des réels, N pour les naturels, mais pourquoi Z pour les
entiers? ». Répondre à ces questions-là, c’est presque aussi réconfortant
que le crépitement du beurre sur une poêle chaude.
Malgré tout, j’empile des phrases insipides dans le dossier
infonuagique d’autres élèves. Vous imaginez le nombre de phrases insipides que
les enseignants qui n’ont pas ma chance doivent écrire jour après jour?
« Votre enfant jongle avec les coffres à crayons de ses
collègues de classe pendant que j'enseigne. Il les échappe partout et me dit
que ça ne dérange personne lorsque je le rencontre à la fin de la période. »
Certains diront que l’école n’est peut-être pas faite pour
eux. On a déjà lu ce genre de réflexion des dizaines de fois dans des forums ou
dans des courriels de parents : « Des fois, les profs, c’est comme si
vous essayiez d’enseigner à une roche à grimper dans les arbres! Une
roche, ce n’est pas fait pour grimper! ». Si ce que vous convoitez pour votre
enfant, c’est qu’il aspire à devenir une roche, je comprends pourquoi vous
espérez que l’école lance votre petit caillou dans une grande carrière!
Je suis plutôt d’avis que tous les adolescents (si on
pouvait arrêter de les comparer à des roches) sont capables de bienveillance et
qu’à partir d’un certain âge, les problèmes d’apprentissages reliés à un
comportement rébarbatif devraient être considérés, dans le système public, de
la même manière qu’un refus de soin dans le domaine de la santé.
« Votre enfant a dessiné sur son pupitre avec un marqueur
indélébile. »
Pendant que j’écris cette phrase, je ne suis pas en train de
faire une recherche plus approfondie sur l’étymologie du mot allemand
« zahl », qui signifie « numéro » ou « chiffre »,
qui commence par la lettre « z » et qui explique fort probablement
pourquoi les entiers sont représentés par la lettre « z » majuscule…
Je ne suis pas plus en train de réviser les tangentes de mon cours de calcul
différentiel pour vérifier si c’est bien au sommet de la fonction quadratique
que la tangente a une pente nulle, ce qui expliquerait pourquoi mon élève croit
qu’au sommet, sa variation est nulle…
Non, au lieu, je dirige toute mon énergie sur l’élève qui
n’est pas là.
« Votre enfant ne s’est pas présenté à la reprise de
son examen alors malheureusement, il aura la note de « 0% ».
En des termes plus détaillés, c’est que votre enfant ne
s’était pas préparé à son examen. Pendant que j’étais en train de répondre aux
questions des autres élèves, j’ai vu votre enfant du coin de l’œil bayer aux
corneilles, aux corbeaux et en fait à toute l’étendue de la faune à plumage
noir. Le jour de l’examen, il ne s’est pas présenté et est sorti de l’école en
gambadant devant les grandes fenêtres de notre école. Il s’est fait prendre et
ainsi a dû reprendre son examen lors d’une journée pédagogique. Son enseignant
(alias moi ou « Bozo le clown ») a consigné un examen de reprise (une
version différente), a rempli un formulaire expliquant au surveillant d’examen
ce que votre enfant aurait droit d’utiliser (à l’occurrence un aide-mémoire et
une calculatrice) ainsi que des mesures spécifiques au plan d’intervention de
votre enfant (soit le tiers du temps supplémentaire pour compléter son examen).
Bien que votre enfant ait droit à une reprise, il ne s’y est pas présenté non
plus. Voilà donc pourquoi le clown est triste…
Le pire, c’est que mon élève qui « tourbillonne sur sa
chaise pendant que je parle », qui « ne se présente pas à la reprise
de son examen » ou qui fait des œuvres d’art au marqueur indélébile sur
son pupitre deviendra bientôt un travailleur. Je le rencontrerai dans quelques
années dans une épicerie ou un centre d’achats et il me racontera ses plus
beaux moments à l’école. Il fera un emploi vraiment payant qu’il déteste
profondément et incommodera ses proches avec des discussions sur ses REER tous
les jours.
Du moins… c’est ce que je souhaite.
L’autre jour, j’ai croisé un de ces anciens élèves. Je me
rappelais qu’il ne se présentait jamais à ses examens. Il travaillait à
l’épicerie et rangeait les paniers. Je lui ai souri, l’ai salué en l’appelant
par son prénom, j’ai attendu qu’il soit entré et j’ai été porter mon panier à
l’extrémité la plus éloignée du stationnement par rapport à la porte d’entrée.
Là où les gens se demandent : « mais qui a bien pu ramener son panier
jusqu’ici? ». Il pleuvait. Je suis entré dans ma voiture en souriant et en
pensant à Amélie Poulin. Et chaque fois que je vois un panier d’épicerie
abandonné à des années-lumière de l’entrée, j’aime penser que c’est un ancien
élève qui ne se présentait pas à ses examens qui devra le ramasser.
Je vous l’avais dit que j’étais un peu rancunier.
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